Notes infirmières en santé mentale
Éditorial
Je plaide activement — et sans trop de retenue — pour une réforme en profondeur des notes infirmières en santé mentale, un chantier aussi nécessaire que remettre à jour Windows 95 (ceux qui savent, savent). Dans le contexte québécois, où l’intégration de l’informatique clinique avance à pas de tortue angoissée, nos pratiques documentaires semblent figées dans une époque où la plume d’oie était encore un outil de travail. Les normes actuelles, souvent calquées sur une logique biomédicale archaïque, sont non seulement dépassées, mais elles contribuent à maintenir une asymétrie entre les pratiques infirmières et médicales, comme si notre regard soignant devait rester en noir et blanc pendant que d’autres filment en 4K. Pourtant, la documentation infirmière est un acte clinique en soi (Allen, 2014), et sa modernisation ne devrait pas être perçue comme une coquetterie technologique, mais bien comme un levier d’autonomisation professionnelle et de qualité des soins. La littérature soutient qu’une documentation centrée sur l’expérience et le récit peut renforcer l’alliance thérapeutique et favoriser des décisions partagées (Barker & Buchanan-Barker, 2005). Il est donc temps de sortir nos notes du placard, de les dépoussiérer, et de les réécrire à la hauteur de ce que nous sommes devenus : des professionnels du soin, du sens, et de l’expertise infirmière.
Normes de pratique
Même si je plaide pour une réforme des notes infirmières, il est important de rappeler que les normes actuelles doivent être respectées. La rigueur passe aussi par le cadre légal et professionnel. Je reste d’ailleurs un grand fan du modèle de Brassard, notamment pour son efficacité et sa clarté. L’objectif ici n’est pas de résumer tout le contenu de Brassard — vous pouvez le lire vous-même — mais plutôt de surligner certaines notions souvent mal comprises ou mal appliquées. En santé mentale, la rédaction de notes demande une attention particulière : le vécu du patient, la relation thérapeutique et les dynamiques cliniques sont au cœur des soins. Ce texte vise donc à mettre en lumière ces spécificités pour encourager une pratique plus juste, plus claire… et surtout, plus sécuritaire.
Foire aux questions
Voici une foire aux questions issue des questions les plus fréquemment reçues sur le terrain.
Est-ce une bonne pratique d’utiliser le mot semble dans une note infirmière?
Tel que le mentionne Brassard (2013) à la page 98, les mots à l’air, apparemment, et semble sont à proscrire dans la mesure où ils appartiennent au champ lexical de l’hypothèse, du subjectif, alors d’une note infirmière doit être objective. La seule exception concernant le mot semble est lorsque l’usager semble dormir, considérant qu’il n’est pas possible de le valider. Or, une terminologie plus objective mentionnerait, par exemple : « 23:30 Repose au lit, yeux clos et eupnéique. »
Est-ce qu’une note d’observation me protège légalement?
J’entends souvent des collègues dire : « Je vais faire une note d’observations pour me protéger, au cas où il y aurait une plainte ou une poursuite. » Bien que cette intention soit compréhensible dans un contexte de judiciarisation croissante des soins, elle trahit une mécompréhension du rôle fondamental des notes infirmières. Le but premier des notes d’observations n’est pas de servir de bouclier légal, mais de tracer fidèlement l’évolution de la condition clinique de la personne soignée, ainsi que les interventions effectuées en réponse à cette situation.
Cela dit, il est vrai que ces notes ont une portée légale : elles sont encadrées par la Loi sur les infirmières et les infirmiers du Québec et peuvent être utilisées comme preuve en cas de litige. Mais leur valeur juridique découle justement de leur qualité clinique. C’est la rigueur, l’objectivité et la pertinence des informations consignées — et non l’intention de se protéger — qui confère à la note sa légitimité et sa force. Dans un contexte où les équipes sont mobiles et les mémoires faillibles, la note devient un ancrage essentiel : elle raconte ce qui a été fait, pourquoi, et dans quel contexte. Bref, on n’écrit pas pour se couvrir, on écrit pour soigner mieux. Et ce faisant… on se couvre bien.
Avertissement
L’écriture d’un verbatim — soit le rapport fidèle des propos tenus par une personne — exige une grande rigueur. Les mots consignés doivent être exactement ceux qui ont été prononcés, sans quoi le verbatim perd sa valeur et sa pertinence.
Quand doit-on faire une note tardive (NT)?
Le recours à une note tardive doit être exceptionnel.
— Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, 2016, p. 21
Une note tardive désigne une note d’observation rédigée après un délai significatif suivant l’événement ou l’intervention qu’elle décrit. Elle suppose une rupture dans la continuité temporelle : c’est-à-dire que l’intervention n’a pas été documentée dans un délai raisonnable, souvent le même quart de travail. En l’absence de cette rupture — par exemple, lorsqu’une note est écrite plus tard dans la journée mais toujours dans le fil clinique des soins — il ne s’agit pas, techniquement, d’une note tardive (Brassard, 2026, p. 111).
Exemple 1. L’infirmière fait deux quarts de travail de suite, en soirée, elle réalise avoir omis involontairement un détail clinique dans une intervention faite le matin avec un patient. Elle peut alors inscrire l’heure et faire sa note normalement, bien qu’elle ne sera pas chronologique. Elle n’a pas à inscrire la mention de note tardive.
Exemple 2. Une infirmière se souvient d’un détail clinique dans une intervention faite le matin avec un patient. Or, elle est rendue chez elle puisque son quart de travail est terminé. Le lendemain, elle peut alors inscrire la date et l’heure et « Note tardive du 2025-05-25 à 9:15 dû à un oubli involontaire. » et faire sa note normalement, bien qu’elle ne sera pas chronologique. L’utilisation d’un logiciel informatique permet le respect de la chronologie et diminue le risque d’erreur par omission.
Cela dit, dans un contexte de documentation manuelle ou morcelée, il arrive qu’un professionnel omette d’inscrire une information sur le moment. L’usage d’un logiciel clinique adapté permet de limiter ces oublis en facilitant une consignation in situ, en temps réel, et en assurant une meilleure traçabilité. En d’autres mots, une bonne technologie ne remplace pas la rigueur, mais elle aide franchement à l’organiser.
Est-ce qu’il est toujours nécessaire de tracer un trait sur l’espace restant, à la fin d’une note?
L’exigence de tracer un trait sur les lignes inutilisées dans une note infirmière provient de principes fondamentaux de tenue de dossier sécuritaire, intègre et non modifiable, tel que prescrit par les normes professionnelles en vigueur, notamment celles de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ).
Cette mesure est explicitement mentionnée dans la norme professionnelle de l’OIIQ (2016), à la page 7 :
Dans un dossier papier, l’infirmière trace un trait sur l’espace restant après la dernière ligne de sa note, afin d’empêcher toute insertion ultérieure.
Encore une fois, l’utilisation d’un logiciel informatique aide à éviter la l’ajout, la falsification et l’altération du dossier de l’usager si les principes directeurs sont suivis correctement.
Quel est le délais légal pour rédiger une note d’observation?
Il n’existe pas de délai fixe universellement prescrit par la loi pour la rédaction d’une note infirmière, mais les normes professionnelles de l’OIIQ et les principes de droit encadrant la tenue de dossier clinique indiquent que la note doit être rédigée le plus rapidement possible après l’intervention, idéalement dans le même quart de travail.
Selon l’OIIQ (2016), page 17 :
« L’infirmière rédige ses notes le plus tôt possible après l’évaluation ou l’intervention, afin que l’information soit consignée tant qu’elle est encore fraîche à sa mémoire. »
Sources
- Allen, D. (2014). The Invisible Work of Nurses: Hospitals, Organisation and Healthcare. Routledge.
- Barker, P., & Buchanan-Barker, P. (2005). The Tidal Model: A Guide for Mental Health Professionals. Routledge.
- Brassard, Y. (2013). Apprendre à rédiger des notes d’évolution au dossier (5e éd.). Volume 1 & 2. Chenelière Éducation.
- Ordre des infirmières et infirmiers du Québec. (2016). La tenue de dossiers par les infirmières et les infirmiers : norme professionnelle. https://www.oiiq.org/documents/20147/237836/4544-norme-documentation-web.pdf
- Office des professions du Québec. (2023). Loi sur les infirmières et les infirmiers (L.R.Q., c. I-8). Éditeur officiel du Québec. https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/I-8