Où se trouvent nos services de première ligne en santé mentale?
Publié le 2025-05-08
Dans un contexte où l’on parle sans cesse d’accessibilité, de proximité et de rétablissement, il y a une question toute simple que l’on pose trop rarement : où se trouvent nos services de première ligne en santé mentale?
Parce qu’au-delà de l’offre, il y a le lieu. Et ce lieu parle. Il parle à la personne qui doit s’y rendre, à ses souvenirs, à ses peurs, à sa dignité.
L’hôpital : un lieu (trop) chargé
Beaucoup de services de première ligne en santé mentale sont encore offerts dans des hôpitaux ou à proximité immédiate de ceux-ci. Sur le plan logistique, cela peut sembler cohérent : optimisation des ressources, proximité des services spécialisés, optimisation des espaces.
Mais sur le terrain? C’est une autre histoire. Manque de locaux, lieux mal entretenus, stationnements insuffisants, signalisation déficiente.
De plus, les hôpitaux demeurent des lieux froids, impersonnels, souvent difficilement accessibles pour bien des personnes — que ce soit en raison du transport en commun, du coût du stationnement ou de la complexité même de ces environnements. Combien de fois ai-je guider des personnes vers la sortie, faute de repères visuels cohérents pour la clientèle. Eh oui, le graphiste en moi y voit beaucoup de pistes d’optimisation.
Et au-delà de l’aspect physique, il y a la charge symbolique. Pour de nombreuses personnes, l’hôpital représente l’endroit même où la stigmatisation a commencé. C’est là qu’elles ont été étiquetées, parfois hospitalisées contre leur gré, mal comprises ou réduites à un diagnostic. Revenir dans ce lieu, même pour obtenir de l’aide, peut réactiver des blessures profondes.
Un parallèle avec le quotidien
Avez-vous déjà été embarrassé par l’emplacement de certains produits à la pharmacie? Peut-être en achetant des condoms placés juste devant le comptoir, à portée de vue de tout le monde. Nos ados, eux, deviennent rouges comme des tomates en voulant simplement se protéger — et on les comprend. Ou encore, ce moment gênant où l’on passe à la caisse avec un laxatif ou une crème pour les parties génitales, en espérant que personne ne remarque trop ce qu’on dépose sur le tapis roulant. Ce fameux moment où l’on achète un paquet de gomme pour cacher l’autre produit.
Maintenant, transposez cette expérience à la santé mentale. Imaginez une personne qui entre dans un service de première ligne, mais doit le faire sous une grosse enseigne marquée « PSYCHIATRIE ». Ce simple acte — franchir une porte — peut être vécu comme un dévoilement public. Non pas parce que la personne en a honte, mais parce que le lieu impose cette visibilité, ce regard possible de l’autre. Le lieu devient un étiquetage. Une forme subtile de stigmatisation, ancrée dans l’architecture même du soin.
Soigner le lieu pour soigner l’expérience
Lorsqu’une clinique de première ligne en santé mentale se trouve à quelques mètres du département de psychiatrie d’un hôpital où une personne a vécu une expérience négative, comment peut-on espérer qu’elle s’y sente accueillie? Valorisée? Crue?
On ne peut pas sérieusement parler de rétablissement tout en imposant des environnements qui rappellent le traumatisme. Le lieu devient alors une barrière silencieuse mais bien réelle.
Et si on repensait l’emplacement?
L’accessibilité, ce n’est pas seulement une question de délais ou de disponibilité. C’est aussi une question de contexte, d’environnement, d’ambiance. C’est la différence entre un lieu qui dit « tu es malade » et un lieu qui dit « tu es le bienvenu ».
Offrir des services dans des CLSC, des centres communautaires, dans les milieux de vie ou même dans des espaces hors murs permettrait de redonner du sens à l’intervention, de normaliser le recours à un soutien psychologique, et de désamorcer la charge émotive liée aux lieux hospitaliers.
C’est dans cette optique que le Plan québécois pour les troubles mentaux (PQPTM) vise justement à rapprocher les soins des milieux de vie, à miser sur des trajectoires plus humaines, plus souples, plus orientées vers le rétablissement. Sur papier, les intentions sont claires et louables.
Mais dans les faits? Le système québécois reste profondément contraint par les logiques politiques. Les orientations cliniques sont souvent court-circuitées par des arbitrages budgétaires, des jeux d’influence ou une obsession de performance quantifiable à court terme.
Le PQI (Plan québécois des infrastructures), par exemple, accorde peu de place aux projets innovants en santé mentale. Les ressources pour repenser les lieux d’intervention sont rares, et les décisions sont souvent prises loin du terrain, sans réelle consultation des premiers concernés : les patients et les professionnels.
Et la téléconsultation dans tout ça?
Dans un monde idéal, la téléconsultation pourrait représenter une réponse élégante à la question de l’emplacement physique. Elle permettrait d’éliminer les barrières géographiques, de consulter dans le confort de son domicile et de préserver une certaine confidentialité. Mais sur le terrain, la réalité est toute autre : la télémédecine en santé mentale reste encore très peu accessible. La peur des technologies, les connexions instables, la précarité financière de certaines personnes, le manque d’équipement, des intervenants rigides, l’absence de soutien technique et de balises claires… et surtout, une grande iniquité dans l’offre selon les régions. Ce qui devait être une solution devient parfois un autre facteur d’exclusion. Encore une fois, les populations les plus vulnérables — souvent les plus éloignées — se retrouvent avec le moins d’options.
Et si le soin venait à la personne?
Les équipes mobiles, lorsqu’elles sont bien implantées, offrent une alternative concrète et humaine aux structures traditionnelles. Inspirées des modèles d’intervention précoce et de suivi intensif dans le milieu (SIM), ces équipes vont vers la personne, dans son environnement de vie, plutôt que de l’obliger à franchir les murs d’un hôpital ou d’une clinique. Elles permettent un accompagnement souple, ajusté, et surtout, décentré des lieux institutionnels souvent stigmatisants. Comme le souligne Tordjman et Keromnes (2019), ce type de dispositif favorise non seulement une meilleure alliance thérapeutique, mais il contribue aussi à réduire l’errance diagnostique, les ruptures de services et les hospitalisations évitables. Une avenue prometteuse — encore trop peu développée — qui gagnerait à être soutenue davantage dans une logique de santé mentale communautaire.
Une critique nécessaire, une recherche essentielle
À ce jour, peu de littérature scientifique semble traiter de manière approfondie la question de l’impact psychologique de l’emplacement des services de santé mentale. Pourtant, les exemples issus de la pratique sont nombreux et parlants. Le fait de devoir passer sous une enseigne marquée « PSYCHIATRIE » pour consulter, ou d’être convoqué dans un local à côté du département d’hospitalisation, est loin d’être anodin.
Il serait donc pertinent — et nécessaire — de mener des recherches plus systématiques sur ce sujet. Pour mieux comprendre comment le lieu influence la perception de l’aide, l’engagement dans les soins, le sentiment de dignité et, ultimement, le processus de rétablissement.
Parce qu’en santé mentale, le lieu n’est jamais neutre.
Sources
- Livingston, J. D. (2020). La stigmatisation structurelle des personnes ayant des problèmes de santé mentale et de consommation de substances dans les établissements de soins de santé : Analyse documentaire. Commission de la santé mentale du Canada. https://www.mentalhealthcommission.ca/wp-content/uploads/drupal/2020-07/structural_stigma_in_healthcare_fr.pdf
- Photo de wutthichai charoenburi sur Pexel
https://www.pexels.com/fr-fr/photo/beaucoup-de-chaises-dans-le-batiment-19921278/ - Tordjman, S. et Keromnes, G. (2019). Équipe mobile en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent : les apports de la recherche. L'information psychiatrique, 95(6), 401-410. https://doi.org/10.1684/ipe.2019.1970.
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