La tortue : symbole d’ancrage, de mémoire et de résilience

Parmi les nombreux symboles puissants présents dans les cultures autochtones, la tortue occupe une place toute particulière. Chez les Wolastoqiyik Wahsipekuk, tout comme chez plusieurs autres peuples de la grande famille Wabanaki ainsi que d’autres nations algonquiennes, elle est bien plus qu’un simple animal : elle représente à la fois la terre, l’origine, la sagesse et la continuité.

Dans les traditions orales partagées entre plusieurs nations, la tortue est associée à ce que l’on appelle l’île de la Tortue (Turtle Island), soit la terre sur laquelle nous vivons aujourd’hui. Ce récit pan-autochtone raconte qu’à l’origine du monde, un animal – souvent un rat musqué – est descendu dans les eaux primordiales pour rapporter de la boue. Cette boue a été déposée sur le dos d’une grande tortue, qui s’est lentement transformée en continent.

Ce mythe profondément enraciné donne à la tortue une symbolique forte :

Seule communauté issue de la Nation Wolastoqey au Québec, la Première Nation Wolastoqiyik Wahsipekuk porte toujours cette symbolique dans ses actions de revitalisation culturelle. Que ce soit à travers les enseignements traditionnels, les récits transmis aux enfants, les cérémonies ou les démarches de gouvernance, la tortue reste un repère identitaire fort.

Elle incarne :

Dans une époque marquée par la rupture, l’accélération et l’effacement, la tortue nous rappelle d’avancer lentement, mais avec intention, dans le respect de ce qui nous précède.

Lorsqu’on écrit ou prononce des mots comme « À nos ancêtres 🐢 », on ne fait pas que poser un geste symbolique. On s’inscrit dans un mouvement vivant de reconnaissance, de transmission et de rassemblement.

C’est un hommage à celles et ceux qui ont protégé la Terre, gardé les histoires, résisté à l’effacement. Et c’est aussi une invitation : à écouter, à apprendre, à marcher plus doucement sur cette île que nous partageons tous.

Ce symbole ancestral trouve un écho profond dans la science infirmière contemporaine, en particulier en santé mentale. La pratique infirmière s’enracine elle aussi dans des valeurs de soin lent, relationnel, durable et ancré dans l’histoire unique de chaque personne. Comme la tortue, l’infirmière ou l’infirmier avance avec intention, en portant les récits, en respectant les rythmes, et en valorisant la continuité des liens.

Ce lien entre symbolique et pratique clinique est particulièrement manifeste dans le modèle Tidal, développé par Phil Barker et Poppy Buchanan-Barker. Ce modèle, centré sur le récit et l’expérience vécue, repose sur l’idée que la personne en détresse est la seule experte de sa propre histoire. Le rôle du soignant est alors de naviguer à ses côtés — d’où l’image de la marée (tidal) — en aidant à redécouvrir les ressources personnelles, les repères perdus, les forces oubliées.

Comme la tortue, le modèle Tidal invite à ralentir, à écouter profondément, à reconnaître la valeur du vécu, y compris dans ses formes non verbales : silences, gestes, regards. Il valorise les histoires intimes, les trajectoires singulières et les liens culturels, souvent invisibles dans les approches plus médicalisées.

Dans une perspective inclusive, intégrer des symboles comme celui de la tortue à notre compréhension du soin, c’est reconnaître que la science infirmière gagne en profondeur lorsqu’elle s’ouvre à d’autres façons de voir, de ressentir et d’exister. C’est faire place à une pratique enracinée, engagée, et capable de marcher au rythme de la personne, plutôt que de l’imposer.