Décloisonner les rôles pour mieux soigner
Publié le 2025-05-28
Je n’ai pas l’intention ici de m’immiscer dans les discussions complexes et légitimes qui se tiennent actuellement entre les médecins et l’État. Cependant, à titre d’infirmier clinicien œuvrant en santé mentale, je ne peux passer sous silence un propos formulé lors de l’épisode du 27 mai 2025 de l’émission Le Bilan, par le Dr Benoit Heppell, psychiatre et chef de département au CHUM.
Dans son intervention, Dr Heppell a mis de l’avant une réflexion importante, trop peu abordée dans les débats publics actuels : le décloisonnement des professions. Non pas dans une logique de remplacement ou de compétition, mais plutôt dans une optique de complémentarité, de meilleure utilisation des compétences et de gradation des responsabilités cliniques selon l’expertise.
Et sur ce point, je ne peux que partager son point de vue.
Dépasser les silos : une approche collaborative
Nous disposons aujourd’hui de profils infirmiers de plus en plus spécialisés, compétents, expérimentés — des infirmières cliniciennes formées à l’évaluation, à la relation d’aide, à la pharmacologie, à la coordination des trajectoires et à la surveillance clinique étroite. Et pourtant, leur rôle reste parfois artificiellement limité par des cadres normatifs qui ne suivent pas l’évolution des besoins cliniques, ni celle de la formation professionnelle.
C’est dans cette perspective que le développement du rôle d’infirmière clinicienne spécialisée (ICS) devient non seulement pertinent, mais urgent. Il ne s’agit pas de faire « plus pour faire plus », mais de faire autrement, avec rigueur, selon les compétences réelles et la situation clinique.
Une gradation intelligente des actes
Prenons un exemple simple en santé mentale : une ICS spécialisée pourrait, dans le cadre d’un suivi avec un usager déjà connu du service, effectuer de légers ajustements à une médication psychiatrique, à l’intérieur de balises claires déterminées par un psychiatre ou une infirmière praticienne spécialisée en santé mentale (IPSSM) et même compléter certains formulaires administratifs (CNESST, Assurance-emploi, RAMQ) lorsque la condition de santé est déjà bien établie. Ces interventions, simples mais fréquentes, allègent le système, accélèrent les réponses cliniques et renforcent la continuité du soin.
Des balises, pas des barrières
Les actes médicaux délégués ou réservés sont essentiels dans une optique de sécurité et de responsabilité. Mais ils devraient être encadrés par des balises cliniques dynamiques, adaptées à la complexité des cas, au niveau de formation du professionnel, et à la collaboration interdisciplinaire. Ce que l’on observe trop souvent, toutefois, ce sont des barrières administratives ou professionnelles rigides qui freinent l’innovation, ralentissent la réponse clinique et accentuent la pression sur certains corps de métier, notamment les médecins.
Développer le rôle de l’infirmière clinicienne spécialisée ne veut pas dire médicaliser le soin infirmier. Cela signifie, au contraire, reconnaître la maturité professionnelle d’une pratique fondée sur l’évaluation, la relation et l’observation fine, en lui donnant les outils pour agir à sa juste mesure.
Une opportunité à saisir collectivement
Le Québec accuse un certain retard à cet égard. Dans d’autres juridictions — pensons à l’Ontario, à la Colombie-Britannique ou à plusieurs pays européens —, les infirmières praticiennes ou cliniciennes avancées jouent déjà un rôle élargi, notamment dans la prescription, le suivi et la coordination interprofessionnelle. Pourquoi tardons-nous à structurer cette gradation chez nous, alors que les besoins explosent et les effectifs médicaux s’essoufflent?
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